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Livre I – Second extrait

Tuidi, 2 Melfina de l’an 5002

 

Kachiko aidait deux de ses consœurs de la Chatte Pourpre à laver leurs vêtements dans un des canaux à l’arrière de l’établissement. Comme si les eaux troubles des canaux pouvaient laver toute la crasse et la méchanceté que les clients leur lançaient au visage tous les soirs.

Inara lui avait offert de nombreux dons et celui de changer de visage était un des plus précieux. Lorsqu’elle était arrivée à la Chatte Pourpre, conduite par les visions de son ancêtre, elle l’avait fait sous les traits de Coralie. Elle avait adopté l’apparence d’une humaine au visage sans couleur ni beauté… un visage et un corps qui ne lui attireraient la convoitise de personne, car à la Chatte Pourpre, être jolie était une malédiction.

Il y avait parfois des clients trop insistants et pour ceux-là, Inara avait aussi été généreuse en dons. Les illusions des kitsunes pouvaient tisser des rêves colorés dans la tête des imbéciles et lui assurer que même les plus insistants la laisseraient tranquille. Personne d’autre que lui n’était digne de la toucher… personne d’autre que son Dimitriel chéri… Ou es-tu mon amour ? se demandait-elle tous les jours alors qu’elle craignait que le temps efface un jour les détails de son visage.

Elle fut rapidement tirée de sa rêverie par les railleries des hommes qui passaient près du canal et lançaient des injures aux jeunes femmes. Les traitants de catins et de vilaines.

Ses compagnes fixaient le sol, honteuses, tentant d’ignorer les sarcasmes des passants. Kachiko serra les dents, retenant la rage qui grondait dans son cœur.

— Coralie ! Ramène tes fesses ici, le Pacha veut te parler ! Lui cria Reg, par une fenêtre de l’établissement.

Kachiko soupira et se dirigea vers la Chatte Pourpre sachant trop bien ce que le patron attendait d’elle.

— Élise s’est encore fait engrosser par un client ! vociféra Pacha Degosta dès qu’elle eut passé la porte. Fais ce que t’as à faire pour régler le problème, ajouta l’homme d’un ton méprisant.

Coralie serra les dents une fois de plus.

— Je n’ai pas été engagée pour ça ! dit-elle en lui jetant un regard noir.

— Oh que si ! Au départ, je t’ai pris à l’essai, comme tu le voulais, pour apprendre aux filles le chant, la danse et d’autres tours pour leur permettre de soutirer plus d’argent aux clients. Mais je t’ai gardé pour tes dons de guérisseuse et de fileuse d’anges… pour rien d’autre ! Alors tu ramasses tes crochets et tu files, continua le Pacha.

— Si vous ne l’aviez pas fait travailler il y a sept semaines comme je vous l’avais dit, nous n’en serions pas là !

— Élise rapporte trop et c’est le cas pour pas mal de filles, je ne peux pas me permettre de les laisser tranquilles une semaine par mois sous prétexte qu’elles peuvent se faire engrosser ! On n’est pas aux bonnes œuvres ici, c’est un bordel, bordel !

— Si vous voulez qu’elles travaillent tous les jours sans qu’elles ne tombent enceintes, il faudrait me donner assez d’argent pour acheter des racines de tarkaros plutôt que de leur donner des éponges… ce serait plus efficace pour éviter les grossesses, dit Coralie en soupirant.

— Mes filles ne sont pas les riches maîtresses des nobles. Je n’ai pas ce genre de moyens et je t’ai toi pour ça ! Alors, tu règles le cas d’Élise ou je demande à la vieille Ortena et je te fais faire le plancher comme les autres, comme tu ne me sers à rien d’autre ? Quoiqu’avec ton visage, je doute que tu me rapportes quoi que ce soit.

Kachiko lui jeta un regard mauvais et serra la mâchoire à en avoir mal aux dents. La vieille Ortena et ses crochets souillés tuaient plus de filles qu’ils n’en sauvaient. C’était la raison pour laquelle Kachiko s’était proposée pour le faire.

— De toute manière, être jolie c’est une malédiction ici… je vais m’occuper d’Élise. Elle aura besoin de trois jours pour s’en remettre. Mentit la kitsune, sachant que sa magie lui permettrait de la remettre sur pied en quelques minutes. Au moins, la pauvre Élise aura quelques jours de repos.

— Ce n’est pas une malédiction, c’est ce qui permet de manger trois fois par jour. Lui lança le Pacha alors que Coralie se dirigeait vers la chambre d’Élise.

Avant de tourner le coin du corridor, la kitsune perçut un sourire méprisant sur les lèvres du Pacha… un rictus qui n’annonçait rien de bon.