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Livre II – Prologue

Six ans plus tôt…

La nuit était déjà bien entamée quand Eranor Carmeron se dirigea en titubant vers sa chambre, soutenu par Clara, une jeune et jolie servante du palais des Carmeron. Clara servait la famille du Grand Duc Palinor Carmeron, le dirigeant de Valmyr, la plus importante ville du monde. Elle le faisait avec diligence depuis maintenant trois ans. Elle était habituée aux excès du fils cadet du Grand Duc, mais ce soir c’était différent. Après tout, on ne fêtait pas son vingtième anniversaire tous les jours.

La soirée était chaude, annonçant une superbe journée d’été pour le lendemain. Les cigales avaient chanté toute la journée et une fois le soleil couché, un vent salin de la mer apportait une brise agréable.

Alors que Clara arrivait devant la porte de la chambre d’Eranor, il lui saisit une fesse d’une main baladeuse et lui fit un sourire charmeur.

— J’ai encore un peu d’énergie, tu sais ma belle, lui dit-il, avec une haleine enivrée d’alcool.

Clara lui retourna un regard coquin en le suivant jusqu’à son lit et en l’aidant à se dévêtir à la hâte.

Elle avait développé une relation depuis quelques semaines avec le fils du Grand Duc. Toutes ses collègues lui avaient dit de se méfier des paroles mielleuses d’Eranor, mais elle avait refusé de les croire. Elle aimait Eranor, ce joli blond châtain au visage angélique, et se plaisait à rêver à toutes les promesses d’amour qu’il lui avait fait.

Les amants s’embrassèrent et se caressèrent avec volupté, mais rapidement les excès d’Eranor le rattrapèrent et il s’effondra de fatigue avant d’avoir pu accomplir quelques prouesses que ce soit, faisant sourire la jeune femme. Clara s’étendit à ses côtés, la tête blottie sur son torse musclé.  Rapidement, elle le rejoignit dans le monde onirique, bercé par la musique lointaine des ménestrels de la ville.

*

*             *

Des cris tirèrent violemment Eranor de son sommeil. Clara le secouait comme un prunier pour le forcer à se réveiller. Sa tête était lourde et lui faisait mal. Au moment où il finit par ouvrir les yeux, la porte de sa chambre s’ouvrit avec fracas. Les cris de surprise de Clara et la voix de son écuyer, Javier, qui venait de faire irruption dans sa chambre, se mélangeaient dans son esprit encore embrouillé.

— Lève-toi et habille-toi Eranor ! cria Javier pour la troisième fois.

Clara avait déjà terminé de se vêtir et aidait le fils du Grand Duc, visiblement étourdi, à faire de même.

— Qu’est-ce que… qu’est-ce qui se passe ???  Finit par bredouiller Eranor, incapable de se réveiller complètement.

— Le Palais est attaqué, nous devons partir au plus vite ! répondit Javier d’un ton pressant.

Partout dans le palais des cris retentissaient et des bruits de combat faisaient rage.

— Qui ? Qui attaque ? …Père ! …je dois protéger mon père et mon frère, c’est lui l’héritier nous comptons tous sur lui ! dit Eranor, qui luttait de toutes ses forces pour reprendre ses sens le plus rapidement possible.

— Les Lorna ! Ce sont les Lorna qui attaquent ! Il est trop tard… c’est toi l’héritier maintenant. Ils sont ici depuis longtemps !  dit Javier d’un ton tranchant.

Clara devint livide. Eranor fit un signe négatif de la tête, niant l’évidence.

— Non… c’est impossible ! Comment ?  Dit-il, refusant de croire les paroles de son plus fidèle ami.

— Ton frère et ton père sont morts, Eranor ! Tu le seras aussi si nous ne partons pas sur-le-champ. Les officiers de la garde ont été tués dans leur sommeil, ton frère aussi. Presque personne ne s’est réveillé et quelqu’un a ouvert les portes aux Lorna. La surprise a été complète, dit Javier en aidant Eranor à attacher sa chemise pendant que Clara aidait le noble Carmeron à enfiler ses bottes.

Eranor reprit finalement ses sens et comprit.

— Le vin… le vin pour mon anniversaire. La dernière coupe avait un drôle de goût, dit Eranor.

— Possible, ça expliquerait pourquoi presque personne ne s’est réveillé, mais ce n’est pas le moment de discuter, nous devons partir maintenant ! répéta Javier.

Eranor se leva et saisit un coffret de la taille d’une boite à chaussure. Il ouvrit les tiroirs de sa commode et jeta dans le coffret tous les bijoux et objets de valeurs qui s’y trouvaient. Clara et Javier l’aidèrent. En quelques secondes, la boite fut remplie d’un butin qui leur serait vital en cavale.

Eranor saisit le coffret sous son bras et prit la main de Clara avant de s’élancer à la suite de Javier. Son fidèle écuyer ouvrait la marche dans le corridor sombre, éclairé uniquement par les lueurs magiques qui ornaient les murs.

Dès que le trio fut sorti de la chambre, des soldats aux couleurs des Lorna les virent au bout du corridor. Ils hurlèrent dans la direction d’Eranor et coururent pour l’attaquer.

Eranor regarda l’épée dans son fourreau, la superbe lame en acier d’Urzar que son père lui avait offerte la veille. Sa mâchoire se serra, luttant contre son désir de se ruer vers les soldats qui courraient dans sa direction et de les occire… mais ils étaient une bonne dizaine.

Javier le ramena à la raison en l’interpellant et Eranor suivit son écuyer.

La main de Clara serrait la sienne alors que la jeune femme lui criait de ne pas la lâcher.

S’ils pouvaient parvenir au bout du corridor, ils pourraient barricader la porte et gagner le souterrain pour fuir par le passage secret sous le palais.

Ils courraient à en perdre haleine. Eranor luttait contre l’ivresse qui lui tournait encore la tête. Son cœur battait la chamade et la sueur perlait à grosses gouttes sur sa peau, mouillant sa chemise.

La peur le tenaillait.

Plus que quelques pas après le tournant.

Javier tourna le coin et cria à Eranor de faire attention, mais il était trop tard.

Eranor trébucha sur le corps endormi du garde qui gisait sur le sol au tournant du corridor.

Il lâcha la main de Clara qui le suivit dans la chute et laissa tomber son coffret.

Il se releva à quatre pattes encore étourdi par la chute et le vin empoisonné.

Clara tendait désespérément la main vers lui.

Le coffret était à l’opposé.

Les soldats avançaient avec fracas dans le corridor. Ils seraient là dans quelques secondes.

Eranor serra les dents une fois de plus. Il saisit le coffret et, sans croiser le regard de Clara, il murmura :

— Désolé… 

Avant de se relever d’un seul geste et de parcourir les derniers pas qui le séparaient de Javier et de la porte au bout du corridor.

Il la passa sans se retourner et Javier, derrière lui, la referma avec fracas avant de la barricader avec une lourde barre de fer.

Javier et Eranor reprirent leur souffle.

Clara cria, puis hurla…

Les malfrats commencèrent à frapper la porte à grands coups de marteau de guerre. Elle ne tiendrait pas longtemps.

— J’aurais… j’aurais dû, bredouilla Eranor, en ravalant la bile qui montait dans sa bouche.

— Tu n’avais pas le choix. Nous aurons besoin de ce coffre. Viens, ne trainons pas ici, nous devons gagner le passage et sortir au plus vite ! Cette porte ne les retiendra pas longtemps. 

Eranor et Javier coururent jusqu’au passage.

Alors que le palais des Carmeron était mis à sac par les soudards des Lorna, deux chevaux quittaient Valmyr au galop dans la nuit.

Eranor Carmeron, seul survivant de sa famille et héritier des Carmeron, commençait son exil : Carlagio Lorna venait d’assassiner le Grand-Duc et de s’emparer du pouvoir.